La mémoire est une fonction essentielle de notre insertion sociale. Son involution est vécue comme un drame du vieillissement dégénératif.
Ses performances, ses variances, ses troubles et sa structure sont parfois très proches de celle des ordinateurs qui ne sont en fin de compte que des "boîtes à mémoire" avec des connections plus ou moins complexes.
La construction de chaque mémoire, semble s'articuler autour du fonctionnement du cerveau tout au long d'une vie active. Selon l'activité professionnelle, elle va privilégier un mode de "stockage".
En médecine, elle permet de libérer au plus vite les fonctions supérieures d'écoute d'analyse et de déductions. Le cloisonnement entre les différentes expériences vécues au quotidien est une donnée impérative de la disponibilité "d'écoute". Se régénérer après chaque patient, "oublier" le précèdent après lui avoir consacré une attention intense et avoir cherché avec lui, en s'imprégnant de lui, des solutions à sa demande.
Chaque consultation est vécue comme une mise en scène unique, définitive, déterminante.
Deux acteurs, pas de spectateur. Certaines pièces sont parfois admirables, troublantes, obsédantes et pourtant oubliées dès l'entretien suivant comme une vague remplace une autre sur la plage effaçant les marques de la précédente.
Ce cloisonnement fait de cette mémoire tronçonnée une mémoire sélective. Les entrées sont multiples mais l'accès reste assujetti à une forme de codage. Une clé d'entrée permet de retrouver l'ensemble des données. Parfois, le nom du patient marque moins que l'histoire de sa maladie. La perte d'une clé entraîne l'oubli de pans entiers qui restent probablement inscrits quelque part, en attente d'être réactivés. C'est en fin de compte cette fonction d'oubli qui permet un rafraîchissement permanent de la disponibilité.
Pourtant rien n'est oublié, tout s'inscrit sous une autre forme, dans un repli plus profond mais toujours disponible, de sorte que se tisse une toile à la fois affective et cognitive, qui enveloppe l'ensemble de l'activité.
Cette immense base de données devient un réservoir d'autant plus volumineux qu'il est alimenté par une longue expérience.
Il reste la crainte de ne plus avoir l'usage de ce métier et de ses acquis, de n'avoir que des clés éparses sans porte à ouvrir, sans motivation, et de se trouver ainsi envahi d'une multitude de souvenirs plus ou moins anecdotiques, le tissu usé de notre activité passée.
Il arrive que ce type de fonctionnement se prolonge dans la vie quotidienne et semble faire de notre mémoire une trame lacunaire. Peut-être est-ce là une forme de protection qui s'est prolongée à notre insu.
Il reste parfois heureusement, la lucidité.
Il faut tenter de reconstruire avec tout ce bagage, un autre être, une autre vie . Trouver dans les jours qui s'écoulent de nouvelles motivations, de nouveaux projets, de nouveaux apprentissages, de nouvelles rencontres et vivre le présent sans s'encombrer du passé.
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