vendredi 14 mai 2010

Retraite

Il y a des mots qui tuent, qui enferment, qui figent, le mot retraite en fait partie. Un mot qui signifie recul, décrochage, abandon et qui enveloppe d'une image négative celui qu'elle atteint.

Une des grandes prouesses de notre culture c'est d'avoir réussi à ériger le travail, non seulement en vertu, mais en nécessité vitale, une forme de dépendance librement acceptée, car si certains s'arrêtent, le système se paralyse. Il est clair que, ceux qui peuvent nuire dans les domaines de l'énergie ou du transport sont les plus puissants. Le système crée une interdépendance liée aux besoins, une forme de troc de compétence et de pouvoir avec un dénominateur commun: La Monnaie.

Ceux qui ne travaillent pas, parce qu'ils sont en retraite, semblent hors système, comme inutiles, dépérissent très vite s'ils ne parviennent pas à s'adapter à leur nouvelle condition, souvent économiquement réduite mais toujours socialement différente. Ils ont travaillé mais deviennent une charge. "Has been".

Ils sont libérés des contraintes de temps, de production, de responsabilité, ils ne comptent plus, ils ne sont plus chefs, médecins, avocats, ingénieurs ou ouvrier qualifié. Rien ! Retraité du jour au lendemain, déclaré hors compétition. Le chef d'hier est désormais accessible au café, au club, dans la rue, il est " retraité" et sa compétence n'a plus cours. C'est ici que se situe la zone de fracture. Il y a ceux qui vont s'en sortir, apprécier, et comprendre que cette opportunité est un cadeau du système auquel il ne faut pas s'accrocher. Un prisonnier libéré après quarante années de prison ne sait plus vivre seul, dehors, il est dépendant du seul univers qu'il ait connu. Pour le travailleur cela y ressemble un peu, à la sortie d'activité, tout a changé ! Le métier a changé, sa responsabilité a changé, les enfants ont grandi, sont partis, les petits-enfants ne sont que des parenthèses de vie commune, visites de famille, Baby-Sitting. Comment trouver un nouvel équilibre ?

Il faut remarquer que deux catégories d'humains ne sont pas dans ce schéma: Les créateurs et les femmes. Les créateurs parce que le temps pour eux est infini, la création artistique, littéraire ou technique n'a de limite que la santé du pionnier. Les femmes parce qu'elles sont de fait, de véritables créateurs, elles portent les enfants de demain, tous les espoirs du futur et cela les mobilise en permanence, à jamais. Elles ne créent pas seules certes, elles ont besoin d'un géniteur et il faudra que les hommes admettent un jour leur seul vrai rôle: celui de « Provider ».

Ce mot anglais n'a pas d'équivalent français. Littéralement « le provider » est celui qui produit, qui fournit la matière essentielle à la maturation, à la vie, à la croissance et cette forme de création s'articule sur celle de la mère et de sa progéniture. L'argent bien sûr mais aussi la sécurité, l'engagement à long terme, l'équilibre affectif en grande partie dépendant de la femme que le quotidien épuise d'autant, qu'elle ajoute souvent à ses responsabilités une activité professionnelle.

Lorsqu'il est créateur, l'homme est un artiste, quel que soit le domaine. Il n'a de Maître que son inspiration ô combien capricieuse. Pour lui le temps n'existe pas. Il peut jusqu'à son dernier souffle produire et pour peu qu'il ait du talent, le vendre ou l'offrir.

Les autres souvent prisonniers de leurs fonctions, de leur emploi, de leur entreprise constamment menacés par le marché, poussés vers la sortie par les jeunes qui n'aspirent qu'à les remplacer sans états d'âme, ont atteint « l'âge de la retraite»... Dehors ! C'est devenu une Loi naturelle.

D'où vient le malaise d'aujourd'hui ? Des femmes qui ont colonisé le marché du travail ? Qui décident de la naissance et du nombre des enfants? Qui s'intéressent à la vie politique ? Peut-être tout simplement des carences en moyens matériels surtout en projet de société. Les hommes semblent avoir fait le tour de leurs potentialités, il leur faut chercher de nouveaux recours, un nouveau regard sur eux-mêmes et sur l'évolution de la fourmilière humaine. S'il n'y a pas de problème de retraite pour la femme c'est que les enfants ont été sont et seront définitivement sa préoccupation essentielle à laquelle elle a pu ajouter et conserver des activités sociales qu'elle peut accroître selon ses disponibilités. La retraite est un problème d'homme vieillissant. L'énergie qu'il a consacrée à son travail l'a souvent épuisé. L'expérience acquise n'intéresse plus que les nostalgiques du passé.

Ceux qui réussissent leur retraite ne le doivent pas au hasard mais à une alternative à leurs compétences déjà explorées et exploitées durant toute leur vie professionnelle. Ils pourront enfin consacrer tout le temps nécessaire à ces pistes "en attente" pour leur épanouissement et leur plaisir. La vraie parade à la régression ou à la déprime, la dépendance à l'épouse qui règne depuis des décennies sur le foyer ne peut naître que de la naissance ou de la réalisation d'un projet sans en fixer l'échéance, indépendant de l'environnement et du quotidien, une forme de création en fin de compte. La joie de continuer à vivre.

Mais il y a plus, il y a les petits-enfants, "la chair de ma chair" comme dit la Bible. Ces jeunes pousses ne compensent pas longtemps les longues heures d'inactivité, mais elles alimentent l'intérêt de vivre, cela ne dure que quelques années, les dix premières de l'enfant. Ensuite, il apprend à manipuler de façon plus ou moins subtile et se lasse vite des contes et souvenirs de pépé au bénéfice de la télévision souveraine.

Retraité ? Non ! Juste une relecture de sa trajectoire, une liberté à explorer, une opportunité à saisir, Je propose les mots: Sage? Passeur? Recours? Témoin? Libéré? Parrain? Rentier? Vecteur? Caution? Réparateur? Indépendant? Pensionné? Soutien? Référent? Disponible?... je propose de trouver un mot nouveau qui ne soit pas un recul…Il est démontré que les mots ne sont jamais tout à fait innocents dans leur incidence sur l'inconscient collectif...et personnel aussi d'ailleurs.

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