Cette photo a toute une histoire. Je lui dois vraisemblablement d’avoir connu mon père et d’avoir eu deux frères et une sœur.
Elle a été prise en octobre 1940 à Tunis, rue de Besançon.
Cet enfant est Nessim Félix le premier enfant de Berthe Toura la deuxième fille de Félix Taieb et Ninette Cohen qui eurent quatre garçons et trois filles.
Berthe était encore célibataire à 26 ans passés lorsque lui fût présenté Émile Chiche, jeune fonctionnaire qui venait de passer la trentaine.
Un mariage arrangé comme on disait à l’époque. L'été 1939, le couple s’installe dans l’appartement dont Berthe avait été dotée.
Fin aout, la « Mobilisation générale » est décrétée en Métropole, les jeunes Français recensés dans les protectorats et les colonies vont très vite être appelés en France.
Berthe raconte que le mariage ne fût pas consommé dans les suites immédiates de leur union. Elle ne savait rien de cet homme qui avait semble-t-il poursuivi une liaison antérieure.
C’est seulement deux mois après leur mariage, en octobre 1939, que pour la première fois Émile s’unit à son épouse. Le soir même de cette unique union, des coups à la porte informent Émile qu’il faut d’urgence rejoindre son régiment pour aller en France.
La « drôle de guerre » qui va durer huit mois vient de commencer !
Berthe est enceinte, Le petit nait le 18 juillet 1940.
Un an après son départ de Tunisie, Émile, installé en Alsace avec une nouvelle compagne reçoit par le service des armés cette photo d’un fils qui lui est né après son mariage.
Cette unique nuit d’amour aurait pu rester sans lendemain pour ce couple qui ne s’étaient connus que quelques mois auparavant, présentés par leur famille respectives. Émile avait réussi à s’enfuir d’un camp de prisonniers, un Stalag allemand, et s’était réfugié chez une Alsacienne sans se soucier de ce début éclair de vie matrimoniale tunisienne.
Les familles respectives, sans nouvelles d’Emile, avaient alors alerté l’armée pour savoir ce qu’était devenu leur fils et mari ? Il fournissent au service de recherche des Armées, cette photo du petit, qui sera révélée à Émile facilement retrouvé. Ému par cette photo, il décide de revenir dans son pays natal. Sa première décision fût de remplacer le prénom de Nessim par Freddy.
Freddy ne comprit que bien plus tard la raison pour laquelle sa mère en le présentant ponctuait d’une malicieuse phrase :- « C’est l’enfant d’une seule fois !» ou que son père, parfois irrité par sa conduite marmonnait : « Quand je pense que je suis revenu pour toi ! »
Un document d’époque nous est parvenu datant de ce jour précis :
Paris, le 18 juillet 1940 Ma chère Suzanne, Nous voilà impliqués dans une nouvelle guerre mais quelle drôle de guerre ! Que va devenir Paris ? Nous ne reconnaissons plus notre ville : nos panneaux sont écrits en allemand, certains journaux également, les croix gammées envahissent notre paysage, l’armée ennemie réquisitionne nos écoles, nos mairies… Et nous, qu’allons-nous devenir ? Et tous ces pauvres gens qui fuient leur région, quel sera leur sort ? Et cet Hitler, que veut-il exactement ? Conquérir le monde ? Comment peut-il être aussi cruel, vouloir tuer des gens sous prétexte qu’ils sont différents, est-ce possible ? Je m’inquiète notamment pour mes voisins car ils sont juifs. Seront-ils persécutés en France aussi ? Tous les morts de la première guerre mondiale n’ont-ils pas suffi ?
Toute cette haine me révolte. Ta sœur qui t’aime
Rose
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