mercredi 17 mars 1999

Les Passes Murailles

Comment expliquer qu’il y ait des êtres qui traversent notre vie, nos défenses, nos défiances comme s’ils avaient toujours été avec nous. Ils traversent nos protections routinières et obtiennent parfois bien au delà de ce que l’on est prêts à donner. Il ne s’agit pas d’un regard ou d’un sourire qui neutralisent parfois notre résistance lorsque la beauté les accompagne, pas davantage d’une voix, d’un geste ou d’un argumentaire. Tout se passe comme une histoire qui s’inscrit dans la notre et semble la compléter dans l’instant. Comme un être annoncé, attendu et enfin la qui nous fait accomplir des tâches insolites, en dehors de nos habituels circuits et ce, sans contrainte ni supplique, par le seul fait d’une présence et d’une attente. Souvent une façon de demander qui ne réveille aucune résistance. L’histoire de Christophe Rocancourt me parait particulièrement illustrer cette cécité psycho-affective que certains êtres sont capables d’engendrer. Cet homme, dorigine normande, ni beau, ni cultivé, ni particulièrement intelligent avait réussi à illusionner des dizaines de personnes, se faisant passer tantôt pour un riche collectionneur tantôt pour un célèbre héritier, aux USA, et au Canada, sortant avec les plus belles femmes et recevant après une filtration pointilleuse tous les notables qui souhaitaient le rencontrer dans ce Grand Hôtel où il occupait une suite luxueuse. Comment la direction acceptait-elle cette mystification ? Quel argent ? Il ne fut confondu que très tard pour une dérisoire falsification passeport.

Christophe_Rocancourt

L’intérêt ce cette histoire est qu’elle illustre de façon burlesque cette forme de compliance dans notre vie de tous les jours. Lors de notre activité soignante il est habituel de s’investir dans la consultation de dizaines de patients. Il arrive que certains d’entre eux, sans que l’on puisse l’expliquer prennent une place envahissante dans notre inconscient et nous entraînent bien au delà des limites de notre activité, comme si la compassion qu’ils engendrent dépasse le cadre de notre activité pour nous accompagner longtemps après elle. Je pense aussi à ces êtres qui traversent les barrières de vigiles qui filtrent la foule à l’entrée d’une manifestation artistique ou autre. Ils traversent comme des «passes murailles», grommelant quelques mots et se retrouvent à l’intérieur sans que personne n’ait osé les arrêter, comme s’ils étaient invisibles. Que dire de ce guichetier, affairé à sa tâche, qui tout à coup, devant une demande insolite semble empêtré avec un client exigeant mais tenace sans pouvoir reprendre le dessus et lui signifier son agacement ? Plus trivial, la belle qui refuse à chacun la danse qui lui est proposée ou même la couche et qui soudain accepte celle de cet homme sans relief ni manière qui l’enmène et la ramène et que l’on ne revoit plus ?

On pourrait citer les cents visages que prend l’être d’un jour, d’une heure d’un instant pour envahir notre espace mental, le traverser s’en servir et repartir sur son chemin comme une douce brise sur un corps échauffé. L’affectif peut-être tout à coup comblé par on ne sait quel charme ? L’invision ? Comme un trou dans la vigilance et la conscience, induit par un élément qui reste à déterminer ? la coïncidence deux "auras" le temps d’un éclair, laissant derrière elle, la même trace qu’un poisson dans l’eau ou d’un oiseau dans le ciel.

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